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La petite jokho
10 février 2008

Le droit d'être malheureux

Une collègue du bureau me remet une feuille où apparaît un article écrit par  Leo Rosten paru dans un article quelconque mais je ne sais pas d'où il vient. Elle me dit que cela lui a fait du bien de le lire. À moi aussi cet article m'a fait du bien. Alors je vous le partage. Écrit, il y a 30 ans, il est encore d'actualité.

Nous voulons simplement qu'on nous laisse tranquilles, mais il se trouve toujours quelqu'un pour nous aider malgré nous.

Par Leo Rosten

condensé de "Passions et Préjudices" 1978


Il fut un temps où l'homme pouvait fixer le vide d'un air maussade,rabrouer sa femme, faire claquer les portes ou aller se promener tout seul sans que ses proches lui proposent un psychothérapie de leur cru. Il fut un temps où l'on n'était pas assez stupide pour vouloir que chacun soit, à tout moment, «bien adapté».

Bref, il fut un temps où l'on comprenait que le mécontentement, le désespoir et même l'échec sont des choses normales; que, dans une famille, les prises de bec sont inévitables; que l'homme n'a pas été créé par Dieu, le destin ou la biochimie pour arborer un sourire béat du matin au soir. On disait même, ce qui est plein de bon sens, qu'il n'y a que les imbéciles qui sont toujours contents. Mais oui, se sentir malheureux lorsque la réalité le justifie, sans prouver le besoin de s'excuser ni de rationaliser, est signe d'équilibre et de santé.

Aujourd'hui, tout a changé. Pour un oui ou pour uun non, nous courons le risque d'être catalogués comme névrosés, et il se trouve toujours un optimiste à tout crin pour vouloir nous aider malgré nous.

C'est là un phénomène tout à fait nouveau dans l'histoire de l'humanité. Il y a seulement 30 ans, personne n'aurait contesté votre droit d'être malheureux. La poursuite du bonheur n'était pas le seule raison de vivre. Travailler, entreprendre, échouer, fulminer et essayer encore, c'étaient autant de choses qui valaient la peine. Le bonheur était considéré comme une bénédiction et non comme un dû. L'homme avait le droit de laisser, de temps en temps, exploser son mécontentement. On lui permettait de souffrir, d'avoir des sautes d'humeur ou de s'isoler sans que chacun de ses soupris soit aussitôt analysé, interprété et commenté. De nos jours, hélas ! uns saute d'humeur n'est plus une saute d'humeur : c'est un «symptôme». L'insuccès et le «désir inconscient de l'échec». Quant à nos sentiments, ils n'existent plus, nous sommes tous esclaves de nos «motivations».

Jamais encore autant de gens n'ont aussi bien su ce qui clochait chez les autres. Nos bons amis prennent notre mauvaise humeur pour une maladie et si nous semblons contrariés, leur diagnostic ne se fait pas attendre: nous sommes gravement perturbés. La mouindre réserve est qualifiée de «résistence» et, pour ces pseudo-médecins de l'âme, c'est la preuve irréfutable que nous avons besoin d'aide.

Ne vous méprenez pas: je n'ai rien contre les psychiatres. C'est leur rôle de soigner ceux qui sont vraiment malades. Je m'insurge contre la bétise de ceux qui, parce qu'ils ont un jour consulté un psychiatre ou lu trois bouquins de psychanalyse, se sentent automatiquement qualifiés pour décider qui est malade et prescrire le traitement infaillible.

Il arrive de temps à autre que des jeunes, prenant mon âge avancé pour de la sagesse et ma haute taille pour de la maturité, me demandent conseil. À l'épouse ou au mari attentionné que le «conflit intérieur» ou la dépression de son conjoint empêche de dormir, je me contente de dire: «Aimez-le et laissez-le tranquille. Il se peut qu'il ait besoin de prendre du recul ou de se retrouver seul avec lui-même. Ne vous en mêlez pas. Sa mauvaise humeur ne signifie pas nécessairement qu'il vous déteste ou qu'il en veut à sa mère, ou encore qu'il est urgent de le traîner sur le divan de l'analyste.»

Plutôt que de se lancer dans une mission de sauvetage intempestive, il vaut mieux se dire que la saute d'humeur passera, que certaines choses demandent seulement du temps et qu'il n'est pas nécessaire de tout expliquer et de tout débattre. Une âme en détresse n'est pas nécessairement une âme perdue.

Nous nous sommes tous laissé raconter que «comprendre» était un devoir sacro-saint. Quelle bétise ! Il y a toutes sortes de choses chez les autres, même s'ils nous sont proches, que nous ne comprendrons jamais. Ne sommes-nous pas nous-mêmes bien souvent déraisonnables, suceptibles, puérils et injustes ? Savoir pourquoiest moins important que d'éviter aux autres de souffrir par notre faute.

Le bonheur est une chose rare. La félicité - hormis certains moments aussi éphémères que précieux - est une invention de poète à laquelle se cramponnent les véritables névrosés. Si nous dépensions moins d'énergie à essayer d'avoir «du bon temps», nous découvririons peut-être les joies et les ressources infinies de notre moi intérieur, avide de contemplation et de silence, qui s'accomode des déceptions et qui accepte que certains désirs ne se réalisent pas.


prinrrr

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Commentaires
L
C'est un bien beau texte, que je ne connaissais pas. Merci.
La petite jokho
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